21/12/2023 – Dans le sillage d’une journaliste d’investigation s’aventurant à ses propres risques dans le monde du hacking, Piotr Adamski signe un thriller vénéneux, crépusculaire et plein de punch
Magdalena Kolesnik (à gauche) dans The Hidden Web
« Je ne suis pas fou, ma réalité est juste différente de la vôtre ». Cette citation extraite de Alice au pays des merveilles est l’un des nombreux indices parsemant la périlleuse enquête de la journaliste ambitieuse et très déterminée protagoniste de The Hidden Web, un thriller toxique de Piotr Adamski, projeté dans la section Playtime du 15e Les Arcs Film Festival. Remarqué en 2019 avec son premier long métrage Eastern [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Piotr Adamski
fiche film], le cinéaste polonais s‘immerge de nouveau dans un film de genre au féminin sur lequel planent les ombres de la mort et les lourds secrets du passé en le télescopant cette fois avec l’hyper modernité d’un univers du tout numérique potentiellement ultra intrusif, pouvant violer les vies privées et même tuer par procuration.
« De combien de clics a-t-on besoin ? 5 millions ? » A la conférence de rédaction de Mega News, à Varsovie, les propositions de sujets s‘enchaînent. Pour Julita (Magdalena Kolesnik), une jeune journaliste trentenaire, belle et très sûre d’elle, la mort la veille dans un accident de voiture du célèbre animateur TV Gustaw Miller (qui a ouvert le film de façon fracassante) ouvre une opportunité car elle pense pouvoir obtenir une interview de la veuve par l’entremise de son propre père (Andrzej Seweryn), autre figure reconnue de l’univers télévisuel polonais. Mais elle soupçonne surtout très vite que l’affaire n’est pas si simple (la photo du mort révèle d’étranges ecchymoses incompatibles avec un accident de la route et un témoin du crash amplifie les doutes).
Un article très populaire plus tard et un fichier écrasé reçu sur son mail, et Julita se retrouve précipitée dans un malstrom d’ennuis : une de ses vidéos érotiques personnelles est diffusée partout (sur tous les ordinateurs et les écrans de la rédaction, sur les réseaux sociaux et avec des reprises sur d’innombrables sites d’information). Contrainte de quitter son job, elle n’en poursuit pas moins son enquête et pénètre dans les arcanes du monde des hackers avec l’aide de Janek (Błażej Dabrowski). Mais la quête des indices devient de plus en plus sulfureuse et de plus en plus dangereuse…
Adapté d’un roman de Jakub Szamalek, The Hidden Web est un film nettement plus subtil que ne pourrait le laisser penser son fil conducteur de genre, très efficace mais basique (les puissants ont d’obscurs secrets, gare à qui s‘en approche). Non seulement le scénario ne manque pas de surprenants double-fonds, mais le cinéaste manœuvre aussi très habilement entre sa protagoniste et les caméras des appareils numériques domestiques qui l’épient sans qu’elle ne s’en aperçoive. Une dimension particulièrement inquiétante qui se déploie dans une belle photographie crépusculaire signée Tomasz Wozniczka et qui suggère également, à travers toutes les avanies physiques et morales que traverse la journaliste pour dénicher la vérité, un appel aux bonnes volontés féministes (« je pense, je ressens, je décide ») pour percer à jour la part maléfique de la domination masculine. Une ambiance ténébreuse, entre Shakespeare contemporain et menaces high tech, à laquelle fait parfaitement écho dans le final la chanson Red Right Hand de Nick Cave and the Bad Seeds.
The Hidden Web a été produit par Monolith Films qui pilote aussi les ventes internationales.
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