On vous raconte l’aventure des Skyblogs, cette plateforme référence du web français devenue obsolète avec l’avènement des réseaux sociaux

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Après plus de vingt ans d’existence, le site qui a hébergé des millions de blogs baisse le rideau lundi, terrassé par la concurrence. Paradoxalement, cette fermeture provoque, chez les anciens utilisateurs, une certaine nostalgie du web d’avant.

« Les Skyblogs sont devenus le 17ᵉ site mondial en 2007 », écrit dans un communiqué d’adieu Pierre Bellanger, fondateur de cette plateforme. Et ils ont vu leur audience baisser depuis, puisque ce site emblématique des années 2000 fermera définitivement lundi 21 août. Mais comment expliquer le succès d' » un des premiers réseaux sociaux au monde », selon le président-fondateur de la radio Skyrock ? Par sa typographie rose fuchsia ou bleu roi, selon les goûts des contributeurs ? Par ses caractères spéciaux à gogo, avec des « xXx » et des « 0o0 » intégrés aux pseudos ? Ou alors par les photos du groupe de rock Tokio Hotel, la musique Tecktonik ou les gifs animés avec des étoiles et des paillettes ?

La plateforme Skyblog baisse le rideau le 21 août 2023, après plus de vingt ans d'existence. (Captures d'écran Skyblog) La plateforme Skyblog baisse le rideau le 21 août 2023, après plus de vingt ans d'existence. (Captures d'écran Skyblog)

Lancée fin 2002, la plateforme devient très vite une zone refuge pour les adolescents, à l’image d’un journal intime virtuel. « Mon premier Skyblog, j’étais en CM2. J’y racontais ma vie. Il y avait même des photos de mon cochon d’Inde ! », relate Chloé, 28 ans, qui a eu « au minimum cinq blogs différents », chacun à des étapes différentes de son existence. « Je postais des photos de moi, de mes copines, des musiques que j’aimais bien et des textes un peu ‘deep’, en mode ado rebelle qui n’aimait pas l’école », s’amuse Océane, 26 ans. Selon Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée dans la culture web et autrice du podcast « Les Skyblogs, l’adolescence du web », l’outil a rapidement parlé aux jeunes, car il répondait en simultané « à un besoin d’expression typique de l’adolescence et à un besoin de connexion ».

« Skyblog a marqué la culture web et l’histoire du web. Peu de sites français ont eu ce succès. »

Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée dans le numérique

franceinfo

Skyblog a aussi permis aux adolescents de laisser libre cours à leur créativité. « Je prenais beaucoup de temps pour poster quelque chose, il fallait s’appliquer à choisir une jolie typographie et à soigner la mise en page, se remémore Elise*, qui écrivait des textes de fiction et des poèmes. Mais c’était aussi la facilité, car la plateforme était gratuite et connue de tous. » Océane, elle, se souvient d’une colorimétrie particulière : « Beaucoup d’utilisateurs optaient pour un texte en noir avec un liseré rose, une grosse tendance à l’époque ! » En clair, la plateforme a trouvé la parfaite recette, en proposant à l’usager de personnaliser sa page et donc de se créer un univers de toutes pièces. Une liberté esthétique qui n’existait nulle part ailleurs dans le petit monde du web. 

Dans les années 2000, avoir un compte Skyblog, « c’était clairement le gage d’être stylé », assure Jade*, 27 ans. Une fois le compte créé, la popularité du compte (et de la personne) se jugeait principalement au nombre de commentaires laissés sous les publications. « J’ai carrément organisé une Coupe du monde des commentaires, avec 32 blogs qui s’affrontaient. Chaque compte devait en poster un maximum chez les autres. A l’époque, plus tu avais de commentaires, plus ton blog était jugé comme important », raconte avec amusement Julien, 25 ans. Des comptes à l’échelle d’un établissement ont également vu le jour. « Le Skyblog du collège, c’était bien d’être dessus. Il y avait des photos des élèves avec leur âge, leur classe, leur couleur d’yeux… Rien de méchant, mais si tu n’étais pas dessus, ça pouvait être blessant », explique Jade. Pour d’autres, Skyblog a été l’occasion de rencontres virtuelles.

« Il y avait cette fille, Fanny, avec qui je suis devenue amie parce qu’elle aimait les Winx. »

Océane, 26 ans, cheffe de projet

franceinfo

La plateforme a par ailleurs vu émerger des blogs dédiés à des séries télévisées, de Plus belle la vie à Grey’s Anatomy, et à des célébrités. « J’ai créé un compte qui s’appelait ‘Chris’cardiaque’, pour permettre de suivre l’actualité de Christophe Maé », rigole Jade. La jeune Nordiste découvre par la suite les fanfictions, ces histoires inventées et écrites par des fans qui s’inspirent d’une œuvre ou d’une personne existante. « La première fois que j’en ai lu une, j’avais 12 ans et c’était sur Emmanuel Moire. J’ai ensuite passé des heures et des jours à en lire, chaque histoire était l’équivalent d’un roman en longueur », restitue Jade. Pour autant, la folie des années Skyblog va finir par s’estomper avec l’arrivée des réseaux sociaux, venus aspirer l’audience très jeune du site français. 

Dès le début des années 2010, Skyblog n’a en effet plus la cote auprès de sa cible habituelle. Alors que la plateforme attirait jusqu’alors les adolescents « âgés de 13 à 18 ans » en moyenne, ils la délaissent progressivement, selon Hélène Delaunay-Téterel, sociologue interrogée dans le podcast « Les Skyblogs, l’adolescence du web ». Passé un certain âge, « ça s’est arrêté parce que je pense que les usages étaient vraiment liés à la vie adolescente et à la sociabilité adolescente, qui tournent autour du collège et du lycée », souligne la chercheuse. Il faut dire que l’essoufflement de Skyblog correspond à l’éclosion, en parallèle, de Facebook.

« On est tous partis de Skyblog pour Facebook. »

Chloé, 28 ans, conceptrice de sites internet

franceinfo

Avec l’avènement du réseau social fondé par Mark Zuckerberg, Skyblog souffre très vite d’une image désuète. Et pour cause, Facebook propose à ses usagers deux expériences en une : la messagerie en ligne, jusqu’alors proposée par MSN, et le partage de textes, photos et vidéos sur son profil, semblable à la proposition Skyblog. Il y aura ensuite Instagram, Snapchat, TikTok… Face à une offre surabondante de réseaux sociaux, Skyblog ne fait plus le poids. La plateforme n’est par ailleurs accessible que sur ordinateur. « Grâce aux smartphones, les occasions de rester connecté et de partager sont désormais bien plus nombreuses », rappelle Lucie Ronfaut.

Parallèlement, le réseau Skyrock est traversé par une crise interne. En février 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé la culpabilité du fondateur de Skyblog, reconnu coupable de corruption de mineure en novembre 2008, mais dont la peine a été allégée (trois ans de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende). Les difficultés de modération n’ont également pas aidé Skyblog à asseoir une légitimité dans la durée. En 2007, Skyblog embauche Michael Stora, psychologue pour enfants et expert des mondes numériques, afin de surveiller les blogs « inquiétants ».

« Mon travail était de repérer les conduites à risques chez les adolescents : scarification, automutilation, annonces de suicide… J’entrais en contact avec ces utilisateurs et, parfois, cela pouvait nécessiter l’intervention d’un policier à domicile », explique Michael Stora, qui estime toutefois que ces contenus étaient minoritaires sur la plateforme. Le psychologue suggère aussi que la plupart de ces jeunes ne souhaitaient pas mettre fin à leurs jours, mais que le blog avait un rôle cathartique. « L’esthétique de la souffrance adolescente a toujours existé », rappelle le spécialiste, pour qui Skyblog a été un « laboratoire de construction de l’image de soi ».

Paradoxalement, si Skyblog a plongé dans l’oubli ces dernières années, l’annonce très officielle de sa fermeture provoque une vague de nostalgie profonde chez ses utilisateurs. « Je me suis empressée d’aller sur la plateforme pour retrouver mes blogs et sauvegarder des photos », raconte Océane. Sur son site, Skyblog propose par ailleurs un tutoriel pour archiver son blog en mode hors-ligne. Dans le prolongement d’un concept qui lui était propre, Skyblog est le marqueur d’une certaine utilisation d’internet. « Pour se connecter, il fallait attendre son tour pour accéder à l’ordinateur familial », se rappelle Océane. « J’avais un temps d’écran d’une heure par jour seulement », complète Julien. 

De quoi en déduire que le web, c’était mieux, et plus simple, avant ? Pas vraiment selon Lucie Ronfaut, qui suggère qu’il a simplement évolué. « Il y a une nostalgie indéniable d’un web plus petit et plus préservé. Les utilisateurs avaient cette impression d’avoir le contrôle, mais tout n’était pas rose. Maintenant, la réalité économique est aussi différente, internet est dominé par des grosses entreprises », explique la journaliste. Michael Stora, lui, perçoit certaines limites à la nouvelle vague Instagram et TikTok. « On se retrouve avec des réseaux sociaux qui manquent d’empathie, de chaleur, et dont la substance apparaît comme assez vide au bout d’un moment », souligne l’ancien modérateur de Skyblog.

Se balader sur ses anciens blogs, c’est enfin se remémorer une atmosphère, un poster usé de Mozart, l’opéra rock scotché sur la tapisserie de sa chambre d’enfant, les disputes avec les parents ou encore des mélodies qu’on n’entend plus à la radio. « Cela renvoie au ‘mood’ de l’époque. Par exemple, au niveau des musiques, on écoutait pas mal de pop rock, style BB Brunes. Aujourd’hui, les standards sont plutôt ceux du rap », illustre Chloé, qui repense également à « ces personnes avec qui [elle] était amie » et dont elle n’a plus de nouvelles depuis la fin du collège. « Je suis très nostalgique, car cela me fait penser à un tas d’objets que je n’utilise plus, comme mon baladeur MP3 », ajoute Elise. Pour ses utilisateurs, la plateforme aura été un moment fort de leur vie d’ado. « Tout le monde a quelque chose à raconter sur et autour de Skyblog », conclut Julien.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des interlocutrices.

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