Un an après TF1, M6 a décidé de se séparer de son pôle de média digitaux. Deux histoires différentes mais qui relèvent d’une même réalité : leur véritable transformation numérique est loin d’être achevée.
Un an après TF1, qui s’est séparé des médias digitaux de son ancien pôle Unify (Aufeminin, Marmiton, Doctissimo, MinuteBuzz, etc.) en les vendant à Reworld Media, c’est au tour de M6 d’en faire de même avec huit médias et services thématiques en ligne (Cuisine AZ, Passeport Santé, Fourchette & Bikini, Déco, Turbo, etc.). L’entrée en négociations exclusives avec Prisma pour la cession de ces titres, rendue publique le 25 juillet à l’occasion de la publication des résultats financiers du groupe M6 au premier semestre, est justifiée comme étant une « consolidation nécessaire face aux grands acteurs digitaux et internationaux ». Même si les deux cas, TF1 et M6, gardent leur spécificité, difficile de ne pas tracer un parallèle entre eux et d’y trouver un point commun : ces opérations couronnent l’échec des chaînes TV à opérer leur diversification sur le web.
En cause, une surestimation de la valeur et des promesses de ces actifs web, notamment dans le cas de TF1, qui les a acquis à prix d’or pour les brader ensuite ; une difficulté à rentabiliser un modèle publicitaire basé sur le display fortement challengé par les Gafam et plus particulièrement par les crises successives affrontées par le marché publicitaire depuis la Covid-19 ; et enfin l’érosion des audiences TV à relier directement à la montée en puissance des services SVOD et AVOD. En deux mots, en l’espace de huit ans, le monde des médias, et tout particulièrement de la TV et du web, a radicalement changé, emportant avec lui, comme dans une avalanche, ces stratégies de diversification devenus obsolètes.
« A l’époque, acheter des sites web quand on était une chaîne TV historique pouvait avoir du sens pour montrer que l’on s’intéressait au numérique », se souvient Jérôme Cauchard, directeur général adjoint de Making Science France. C’est le groupe M6, qui avait démarré les hostilités, en acquérant en janvier 2015 Oxygem, alors éditeur de CuisineAZ, Passeportsante, Radins.com et Météocity. « Pour M6 ces actifs n’étaient quand même pas vus comme véritablement stratégiques, ces canaux ne pouvaient pas être considérés comme des relais de croissance crédibles pour des entreprises qui font plusieurs centaines de millions d’euros de chiffres d’affaires », tempère l’expert.
Sauf que l’effet miroir aux alouettes a atteint son paroxysme avec TF1 qui, en 2018, a acheté à prix d’or Aufeminin, éditeur du site éponyme mais également de Marmiton et My Little Paris : un prix par action de 45,7% supérieur à la clôture du titre au moment de l’offre ferme d’achat pour l’acquisition de 78% du capital de la pépite web, une opération qui avait valorisé Aufeminin à 380 millions d’euros, soit 18 fois son Ebidta de l’année précédente, soit bien au-dessus des valorisations pratiquées pour des opérations de ce genre.
« On ne fusionne pas un grand groupe audiovisuel historique et une start-up pure player en un claquement de doigts »
Or, quatre ans plus tard, TF1 a accepté de vendre à Reworld Media l’ensemble de l’activité publishers d’Unify (incluant 12 sites, dont Aufeminin, un studio de création, une activité d’influence, la régie publicitaire et deux médias digitaux au Royaume-Uni) pour la modique somme de 60 millions d’euros, selon les informations de Capital qui a qualifié l’opération de « coûteux fiasco ». Ces 60 millions correspondaient au chiffre d’affaires annuel de l’ensemble, selon les déclarations de Reworld Media en octobre dernier, quand l’opération a été conclue.
« Les raisonnement financiers sont souvent déconnectés de la réalité du business. TF1 a voulu tout embrasser sans jamais choisir un angle d’attaque ni réussir à intégrer les équipes et faire circuler les savoir-faire. Ils pensaient pouvoir faire mieux alors que c’était déjà très bien. Or, on ne fusionne pas un grand groupe audiovisuel historique et une start-up pure player en un claquement de doigts », analyse un fin connaisseur de ce marché, préférant rester anonyme. « Quant à M6, le groupe a su beaucoup mieux privilégier un angle précis, celui qui consistait à enrichir son offre en complétant ses inventaires publicitaires par du web sur la même cible des jeunes femmes », poursuit-il.
Hélas, la dépréciation de la valeur des inventaires web est une situation bien réelle renforcée par les crises successives depuis 2019 (Covid, Ukraine, inflation…) qui ne cessent de limiter la croissance du gâteau publicitaire déjà amplement grignoté par les plateformes internationales et les canaux qui génèrent de l’impact business immédiat pour les annonceurs, à savoir le search, les réseaux sociaux et le retail media. A titre d’illustration, les recettes générées par le display (bannières et vidéo) vendu par les sites web du secteur de l’édition et de l’info ont baissé de 10% le premier semestre 2023 comparé au premier semestre de 2022, selon le dernier Observatoire de l’ePub.
Sur la même période, le display du retail media a généré +6%, le search +8% et le social, +3%. « Il est extrêmement difficile de monétiser la vidéo en dehors des environnements TV. Les annonceurs sont impitoyables si vous n’avez pas des taux de complétion de 70% minimum et dans l’idéal de 90%. Quant au display, il est complètement désincarné car aujourd’hui les SSP gèrent tout. Pour répondre aux logiques de reach des annonceurs, dans une confrontation totale avec les Gafam, les éditeurs de sites web ont perdu la maîtrise de leurs inventaires aujourd’hui dilués dans des dizaines des plateformes SSP« , analyse notre expert anonyme.
Après la vague Google et Meta, la déferlante Netflix et Disney
Difficile de bien s’en sortir en effet en venant jouer sur exactement le même terrain de jeu d’acteurs comme Meta. « Ce n’est pas parce que ton site fait plusieurs millions de visiteurs uniques que tu vas gagner de l’argent. Pendant longtemps les médias ont mené la course aux visiteurs uniques, mais cela ne suffit pas. Ceux qui gagnent bien leur vie disposent de trois éléments : de la technologie qui permet de démontrer ta performance aux annonceurs, du contenu et une régie publicitaire puissante. Meta dispose de ces trois éléments avec en plus zéro frais de production de contenus. Les régies de chaînes historiques sont certes fortes mais leur principale préoccupation est de préserver la valeur de l’inventaire TV », analyse Jérôme Cauchard.
Oui, mais pour combien de temps ? Car, pour compliquer les choses, les offres des SVOD puis AVOD sont passées par là et avec elles la manière de consommer la TV a changé. Les chaines historiques ont certes su réagir à cette tendance à défaut de véritablement l’anticiper mais certainement pas au point d’achever leur transition numérique. Comme l’indique le groupe M6 dans son communiqué du 25 juillet, la vente de ses actifs web lui permettra « de dégager des marges d’investissements supplémentaires pour la transformation de son activité ». Une décision plus que logique et nécessaire, à en juger nos deux analystes. « Il n’y a plus de choix pour ces acteurs : ils doivent être prêts à générer leurs recettes à travers la VOD et la SVOD, bref à travers la publicité digitale mais sur leur cœur de métier. Jusque-là, avec ces sites web, ces groupes télévisuels faisaient un peu semblant de faire du digital. Leur recentrage, c’est en quelque sorte une bonne nouvelle », conclut Jérôme Cauchard.
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